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Mains

 

Ce ne sont pas des mains d’altesse, 
De beau prélat quelque peu saint, 
Pourtant une délicatesse 
Y laisse son galbe succinct. 

Ce ne sont pas des mains d’artiste, 
De poète proprement dit, 
Mais quelque chose comme triste 
En fait comme un groupe en petit ; 

Car les mains ont leur caractère, 
C’est tout un monde en mouvement 
Où le pouce et l’auriculaire 
Donnent les pôles de l’aimant. 

Les météores de la tête 
Comme les tempêtes du coeur, 
Tout s’y répète et s’y reflète 
Par un don logique et vainqueur. 

Ce ne sont pas non plus les palmes 
D’un rural ou d’un faubourien ; 
Encor leurs grandes lignes calmes 
Disent : » Travail qui ne doit rien. » 

Elles sont maigres, longues, grises, 
Phalange large, ongle carré. 
Tels en ont aux vitraux d’églises 
Les saints sous le rinceau doré, 

 

Ou tels quelques vieux militaires 
Déshabitués des combats 
Se rappellent leurs longues guerres 
Qu’ils narrent entre haut et bas. 

Ce soir elles ont, ces mains sèches, 
Sous leurs rares poils hérissés, 
Des airs spécialement rêches, 
Comme en proie à d’âpres pensers. 

Le noir souci qui les agace, 
Leur quasi-songe aigre les font 
Faire une sinistre grimace 
A leur façon, mains qu’elles sont. 

J’ai peur à les voir sur la table 
Préméditer là, sous mes yeux, 
Quelque chose de redoutable, 
D’inflexible et de furieux. 
La main droite est bien à ma droite, 
L’autre à ma gauche, je suis seul. 
Les linges dans la chambre étroite 
Prennent des aspects de linceul, 

Dehors le vent hurle sans trêve, 
Le soir descend insidieux… 
Ah ! si ce sont des mains de rêve, 
Tant mieux, – ou tant pis, – ou tant mieux !

 

Paul Verlaine

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